Le 16 mai 2011

Perspective nouveau monde

Société distincte?

Bruno-Marie Béchard, ingénieur, professeur et recteur

La diversité mondiale présente une extraordinaire richesse : chaque société se distingue par la physionomie, la langue, l'alimentation, l'organisation politique et sociale, les mœurs, les valeurs, les croyances… C'est ce qui captive le globe-trotter, qu'il voyage en avion ou qu'il fasse excursion grâce à la télévision ou à Internet.

Le contact avec les différences est souvent intéressant, mais il s'avère parfois troublant; c'est alors qu'il me passionne le plus… Au contact d'une autre société, il arrive de découvrir que ce qui est une évidence incontestée pour nous n'a aucune résonance pour d'autres. Pire encore, certains font exactement l'opposé et s'en portent fort bien. Parfois, il est aussi très surprenant d'entendre ce que les autres pensent de nous! Il faut donc se questionner sur la nature de ce qui nous distingue pour abandonner les différences qui nous apparaissent inappropriées et pour protéger, voire accentuer, celles que l'on valorise.

Par exemple, le Québec s'est longtemps distingué de presque tout le reste du continent en interdisant le virage à droite sur feu rouge. Pourquoi? Que de débats et de prévisions fatalistes à l'idée de lever cette interdiction! Bien que Montréal résiste encore, tout se passe correctement ailleurs depuis que nous utilisons notre jugement comme on le fait dans les autres juridictions d'Amérique du Nord. Et que dire du feu jaune? Alors que chez nous, il indique l'imminence d'un feu rouge, dans bien des pays, il annonce que le feu vert nous permettra bientôt d'avancer. Est-ce une bonne idée? Il faut au moins se le demander.

Sur la scène mondiale, le Canada s'est longtemps illustré par son leadership en matière d'environnement. Toutefois, c'est de moins en moins le cas, surtout depuis que nous avons renié notre signature du protocole de Kyoto. Ainsi, le leader d'autrefois est de plus en plus perçu comme réactionnaire, sur une question si importante aux yeux des nouvelles générations. Est-ce bien ce que nous voulons?

Par ailleurs, plusieurs pays d'Amérique se distinguent de ceux des autres continents par le très haut taux d'obésité de leur population, qui occasionne de nombreux problèmes de santé. Y a-t-il lieu de comparer nos habitudes de vie, notamment sur le plan alimentaire, avec celles des autres sociétés? Notre modèle à trois repas tels que nous les composons est-il approprié au style de vie que nous menons aujourd'hui?

Les peuples de la Thaïlande, de Fidji et de Samoa sont réputés pour être les plus accueillants et chaleureux de la planète. Le Québec jouit aussi d'une réputation semblable en Amérique : on pense particulièrement à la Gaspésie, à la Côte-Nord et au Saguenay—Lac-Saint-Jean, mais aussi à Granby (aux limites de l'Estrie et de la Montérégie), qui pourrait probablement remporter la palme mondiale en matière de courtoisie au volant. Comment pouvons-nous cultiver cette différence et maximiser ses retombées?

Le Québec se distingue aussi de presque tout le reste du Monde par la l’organisation de l’éducation supérieure de ses citoyens. Sur le plan de la formation technique, le cégep constitue une réussite de la décentralisation québécoise au grand bénéfice de toutes les régions. Mais pour ce qui est de la voie menant à l’université, alors que d’immenses blocs internationaux comme l’Europe s’alignent sur un modèle universel pour favoriser la mobilité étudiante par la correspondance et la reconnaissance mondiale des diplômes, le bien-fondé de conserver au Québec un ordre d’enseignement supplémentaire entre l’école secondaire et l’université semble de moins en moins évident. D’autant plus que pour obtenir un même diplôme universitaire, étudier au Québec requiert une ou deux années de plus que dans la plupart des autres États comparables. Est-ce justifié de payer ainsi collectivement ces années de scolarisation additionnelles pour arriver au même résultat? Et que dire des conséquences de cette organisation sur le taux de décrochage? Non seulement une admission au cégep en plus d’une admission à l’université augmente les risques d’échec de parcours, mais il faut aussi se questionner sur l’effet de concentrer la formation générale au cégep (alors que les étudiants ont peut-être le pire âge pour l’apprécier) et de retarder à l’ordre universitaire presque toute la formation plus en lien avec la profession. Conséquence : la formation universitaire québécoise se distingue de celle offerte presque partout ailleurs dans le Monde en ce qu’elle est pratiquement dépourvue de formation générale, qui ouvre et élargit l’esprit… Est-il judicieux de continuer à faire bande à part?

Dans bien des cas, nos différences sont le fruit de bonnes décisions du passé. Mais notre environnement change, nos styles de vie évoluent, nos aspirations se transforment. Ces différences sont-elles encore pertinentes? Avons-nous le courage de les remettre en question et d’en cultiver de nouvelles, plus porteuses d’avenir? Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il est bon de se distinguer lorsque la différence est bien fondée. Autrement, c’est comme le chauffard sur l’autoroute qui est convaincu que tous les autres conduisent dans la mauvaise direction…

Ainsi, en quoi nous distinguons-nous, comme société? À l’échelle de notre ville, de notre région, de notre pays? Et surtout, en quoi voudrions-nous nous différencier pour être fiers de former une société distincte?